DSC_6581 pour site

Chemin de vers

Les livres nous ouvrent des mondes célestes à travers leurs récits. Cette installation embarque le spectateur dans une histoire dont le protagoniste principal est un petit train semblable à ceux de notre enfance. Ce train poétique passe dans une ville de livres aux façades miroir et traverse un livre ouvert à l’échelle démesurée. Il capture alors les vers des poèmes qui apparaissent sur ses pages et les emporte avec lui pour les transformer en évocations sonores. Le spectateur se retrouve en enfance dans un état d’émerveillement qui le ramène à ses émotions premières. Enchantement du train de petit garçon et du conte de petite fille qui s’emparent de notre imaginaire pour nous projeter dans nos rêves enfouis.


DSC_6613

 

DSC_6598

 

Luludja, la diseuse de bonne aventure

Je m’apprêtais à rejoindre
Yakoutsk
Voir enfin la Léna
La Sibérie et l’Amour
J’étais plus jeune
J’étais homme et femme
Tigre et loutre
Une douce amie me conseilla
De visiter la nécromancienne
Du quartier de ruines qu’avaient quitté
Les soldats
Mais aux mots des morts
Je préférai les voix du Tarot

J’entrai la tête haute chez
Luludja

Nous étions entourés de
Miroirs
Partout nos
Reflets nous toisaient
Comme autant de fenêtres
Sur nos vies
Je ne me reconnaissais pas
Mais je reconnaissais la femme
C’était celle que
Dans mes rêves
J’apercevais marraine ou diablesse
Tantôt divine beauté
Tantôt mouche à bœufs
Ou encore fleur d’avoine
Ravissante confidente
Miroirs
Mon cœur inversé
J’étais entré là comme
Conscience détourée
On plonge dans l’illusion

Nous étions assis
Luludja et moi
Nous étions assis et
Dans les miroirs
Nous formions une brigade
De mille inconnus étonnés
Merveilles reflétées
Observant les tentures épaisses
Capiteuses et sales
Avant qu’elle ne batte devant moi
Les soixante-dix-huit lames
Avenir trois fois tranché
Pour n’en poser que vingt-et-une sur
La table
« Coupe de la main du cœur »

Je laissai ma main comme étrangère
Choisir et présenter les cartes
À la belle
Je pensais aux bords de la Léna
Au Baïkal, à cet Orient désert
Aux élevages de rennes

« Retour de voyage précipité
Rencontre douteuse dans un train
Trois Quatre droits Trois renversés
Grande pluie
Inondation
À cause d’un départ tes projets seront anéantis
Il y a danger sérieux
Maladie grave avec confession singulière
Tu risques la ruine toi aussi
Accident sans danger
Tes rêves sont solubles dans ta vie
Ta douce amie qui t’aime
Se mariera avec un autre
La Tempérance renversée
Tu raviras la femme d’un homme marié
L’Étoile et l’Empereur
Chute dans la mer ou la rivière
La Lune et le Soleil
Tu seras dénoncé puis emprisonné
Le Jugement et Le Diable
Un mari demande des choses qui font rougir sa femme »

Luludja s’arrêta me regardant
Je n’étais plus
Image reflet oubli
Je coupais et recoupais et choisissais et couvrais

« Six de coupes et Diable
Souvenirs des plaisirs d’antan
Sept de coupes
Difficile de réaliser ton bonheur si
Tu espères
Un mariage d’amour ou les plaisirs de la table
Destin fragile qui passe
Ne te penche pas à la fenêtre d’un wagon
On médite un empoisonnement
On te ménage une vraie friponnerie
Cinq de bâtons et Valet
Il te tombera
Une tuile
Une pierre ou
Une cheminée sur la tête
Sept de bâtons et le Mat
Tu seras invité à l’Est à un grand dîner
Et Roue de Fortune
Tu mangeras caviar et truffes
Tu seras calomnié dans un journal
Une lettre de l’étranger te fera plaisir
Une amie rousse t’aidera
Près d’une gare noire et dépeuplée
Une femme de la campagne te chérira
La nature te consolera
Les rivières te cèderont le passage
Tu souriras
Huit de deniers

Tu passeras la frontière sans rien déclarer
Tu seras alors pris et calomnié
Dix de deniers et l’Impératrice
Tu trouveras un trésor dans la terre ou
Dans un mur
Quand un train passera sous un tunnel
Il y aura grand changement
Je vois un duel des blessures des disputes
Un garçon brun entrera à ton service et
Te sauvera d’une noyade
Son père
Un homme brun te recevra chez lui et t’aidera
Car il saura que tu es secrètement aimé »

Elle retourna la dernière carte
Je ne voyais plus son visage
Je ne pensais plus à partir
J’étais comme endormi
Mes paupières ne s’ouvraient plus
« As d’épée
Les as sais-tu ? Signifient des nouvelles
Et celui que tu viens de tirer dit
Peut-être le bonheur ? »

La cartomancienne était agenouillée
Je ne l’entendais plus
Elle était un grondement
Un chant de bête
Une plainte douloureuse et longue
Je ne bougeai pas
Je l’appelai « Luludja ! Luludja ! »
La pièce était vide
Les miroirs, les sorcières
Ne me reflétaient plus
Il faisait sombre et froid
Un tunnel
Je sentis une eau fraîche
Une source
Couvrir mes genoux
Un vent se lever
Humide et glacé
Je me mis à sangloter mais
Je ne pleurais pas pourtant
Paraître
Et maintenant
Maintenant
Je ne sais
Si j’ai jamais vu les
Rives de la Léna
Et je me répète
Peut-être le bonheur ?

Texte de Marjorie Cagnasso

 

 

 

 

 

 

 

 

<< Retour